DISCUSSIONLe conte offre un espace temps où les choses sont, sans être vraiment ; un espace de mensonges en quelques sortes, dont les éléments s'étayent sur la réalité, mais parallèlement, s'élaborent dans la fantaisie. Un intervalle qu'il semble opportun de comparer à l'espace transitionnel détaillé par WINNICOT : " Aire qui se situe entre le subjectif et ce qui est objectivement perçu. " [Grand dictionnaire de la psychologie, Larousse, 1991, p.802.]. Ainsi va t'il introduire un espace temps symbolique, justement parce que l'illusion se mêle à la réalité sans plus de dualité (celle du vrai ou du faux ; de la vérité ou du mensonge), et que le sujet (l'auditeur comme le lecteur) garde les pieds dans la réalité, pouvant dès lors se prêter sans s'y perdre, au jeu, à l'expérience symbolique. Il s'agit d'un espace subjectif, mais plus encore partagé, et qui vient ainsi faire lien à l'autre, aux autres, autorisant l'accès au culturel, au créatif : Une transition à travers laquelle il devient possible de s'approprier une forme identitaire. Un champ au lieu duquel s'offre la possibilité d'entrevoir, de percevoir, la dialectique d'un non dit sous-jacent, pour le moins intriguant, dont la quête semble des plus structurante et qui, de surcroît, vient se signifier dans le conte à l'aide d'un matériel culturel, reconnu par la société. Il me semble que les dessins proposés par Louis au terme de l'entretien viennent témoigner de ce lieu singulier, plus encore que l'élaboration verbale où le conventionnel, le raisonnable, l'objectif, l'emportent très largement sur le subjectif. Ces illustrations représentent en effet une combinatoire ou les énigmes, les conflits intrapsychiques ont pu s'exprimer au regard des éléments narratifs et sous tendus du texte : " Une zone pour le secret du sexe. " [Michel MAURILLE, ''Tentative d'approche psychanalytique du conte'' (2ème Chapitre), Propédeutique à l'étude des contes, T.IX (une citation de François FLAHAULT)]. Pour exemple, il est possible de voir sur le premier dessin, un ''diable montagne vampire'' dévorant(e), évoquant tout à la fois le diable sous tendu du fantasme de dévoration. Il s'agit bien là du diable, de la diablesse de Louis, et non plus tout à fait de celui de la Montagne Verte. Françoise DOLTO (1982) note que le rôle du psychothérapeute " consiste surtout à permettre que s'expriment, et aussi que coexistent en bonne intelligence, cet imaginaire et cette réalité qui sont une contradiction que nous avons tous à assumer et que nous assumons justement par la vie symbolique, qui n'est pas seulement verbalisée" [Extrait d'un article de R. PELSSER, ''Qu'appelle t'on symboliser ?'', Bulletin de Psychologie, Tome XLII, n° 392 714 - 726]. De par sa constitution, le conte propose une dénomination aux pulsions ou processus intrapsychiques, qui vont pouvoir s'articuler en une chaîne signifiante, préexistante, préconstruite et nous l'avons vu, culturellement inscrite. Ainsi Louis serait-il donné l'énergie nécessaire en vue de ''jeter '' toute sa famille et, par ce geste, s'octroyer des pouvoirs auparavant inaccessibles. A reprendre l'entretien, il n'est qu'à constater par ailleurs combien une mère, selon lui, est supposée toujours reconnaître son enfant : " parce que c'est une sorcière et qu'elle lit dans les pensées " . Aussi, les situations dont Louis ne perçoit pas l'articulation cohérente le laissent perplexe : - " C'est bizarre " . Le bizarre ne se situe pas dans le merveilleux comme il aurait été envisageable de s'y attendre mais dans la déliaison ; dans la défaillance perçue d'une logique de l'articulation. Le langage, instrument de castration, vient scander et articuler autrement la relation de l'enfant à l'autre, et notamment, à sa mère. De la même façon que les coups de baguette magique hérités du père qui répétitivement ponctuent le conte pour finalement ordonner à une montagne gigantesque, de venir se dresser entre les personnes et la mère. De plus, le matériau du conte, en de nombreux points comparable à la réalité intrapsychique [Il nous renvoie au rêve, à l'imaginaire, au fantasme, au merveilleux, au roman familial, à la filiation existant entre les différents personnages, à certains mécanismes de défense, à l'existence de conflits et de problématiques articulant le récit, ... leur dénouement etc.], va permettre à l'auditeur une reconnaissance en miroir de son propre sujet, et ainsi de trouver du sens à des perceptions auparavant inarticulables. En opposition et pour exemple, la position psychotique rend compte de ce phénomène de déliaison, où les éléments intrapsychiques ou perceptifs insoutenables sont non pas introjectés mais vécus comme persécutoires et invariablement projetés sur des objets extérieurs. Le conte pourrait se voir comparer à un psychodrame non plus improvisé mais balisé, au cours duquel les tensions affectives seraient jouées mentalement pour se voir, selon le degré d'investissement du sujet, réintrojectées en des éléments potentiellement aptes à engendrer de nouvelles représentations. Lors de la séance réalisée avec Louis par exemple, il est notable que les suggestions de comparaison étaient le plus souvent niées en premier lieu, mais cependant, pour la plupart réfléchis en une seconde période : Le diable est un méchant personnage immuable qui ne manque de rien. Il deviendra finalement bête et de l'ordre d'un faux diable. Souvent employé dans le cadre psychothérapeutique, c'est à dire dans un contexte de transfert et de contre-tranfert (au sens large). Il est aisé de comprendre la fonction d'un conte en tant qu'elle outrepasse celle d'un simple médiateur. Expérience en soi du fait notamment de l'espace intersubjectif introduit par la narration et l'écoute ; du fait également de la présence des contenus signifiants investis, et soutenus par le plaisir qui lie le lecteur et l'écoutant d'une complicité susceptible de favoriser l'émergence et l'élaboration des éléments psychiques. [" Tout récit d'une histoire a pour objet d'établir entre l'adulte et l'enfant cette complicité, ce pli pris ensemble d'un auto érotisme partagé " (p.65) - " Cet investissement (du préconscient) se réalise par le biais d'une identification de l'enfant, non tant aux personnages du conte qu'à la personne du récitant ou plus exactement au plaisir auto-érotique pris par le récitant, quand il raconte l'histoire . " (P.65) - ''Raconte moi encore une histoire'', Contes et divans, Op.Cit, par J. HOCHMAN] En ce sens, et pour reprendre l'hypothèse de cet ouvrage, l'expérience psychique engagée au travers du conte, non seulement édifiante, pourrait permettre de rendre compte de certains des enjeux imbriqués au lieu même de la relation thérapeutique. C. GUERIN précise à ce propos que " la présence d'une fiction dans le transfert constitue une représentation des enjeux transférentiels de la situation ; elle en est en quelque sorte la métaphore "[Contes et divans par Christian GUERIN, ''Une fonction du conte, un conteneur potentiel'', p.133.] . |